Karaoké

Publié le par Dirty Epic

    Ce week-end, suite à un concours de circonstances (que j'ai gagné par hasard), je me suis retrouvé devant 10 personnes pour chanter The Buggles – Video killed the radio star. Heureusement je n'étais pas seul, mon meilleur ami était derrière moi pour faire les "ohouoh" du chœur avec une voix de castrat (ce qu'il n'est pas, sa copine tient à le signaler). En plus j'avais le choix de la voix puisque c'était avec Roland, vous savez, le clavier, le frère de Christian, et j'avais mis une voix appelée "goth" qui donnait des tons de batcave et d'échos caverneux.
    J'ai rien contre les karaokés, mais je déteste les gens qui massacrent les chefs d'œuvre de notre culture (Gilbert Montagné, Claude François ou Mike Brant) et j'exècre les karaokeux professionnels, ceux qui chantent bien mais qui se sont vu refuser l'entrée aux portes du château de la Star Ac'.

        Je me souviens au lycée d'une certaine Naïma, qui chantait super bien, devant elle il y avait un parterre de fans inconditionnels qui rêvaient secrètement qu'elle devienne célèbre pour pouvoir dire "Naïma, je la connais depuis ses débuts, j'étais au lycée avec elle". Misérable gloire du petit profiteur. En quelques mois, Naïma, dont le talent m'impressionnait, a fini par m'énerver. Car les chanteurs se montrent partout. Avez-vous déjà vu une Peinture Academy ou une Ecriture Academy ? Le karaoké a été inventé par les chanteurs à la croix de bois croix de fer pour pouvoir se la péter le samedi soir.

    Devant mon micro phallique et monocouillal, je glougloutais un anglais laitier fermenté tirant plus vers la chanson à boire que le récital d'opéra. Les 20 pupilles même pas dilatées par la fatigue et l'alcool me regardaient fixement et je me suis dit que le karaoké pouvait être un laxatif très performant (pour les chanteurs comme pour les spectateurs).

       Et c'est dans les moments comme ça que tout devient clair, l'esprit devient léger sous la pression émotionnelle, les yeux se ferment et on se souvient… La musique est ma madeleine (celle de Proust)… Un souvenir oublié revient dans ma tête comme un boomerang du passé, je me souviens de 1998, la France chantait la lala la la, et mon père s'était teint en blond suite à un pari stupide que 20% des fans de foot a fait. Nous étions en vacances près de Narbonne, dans un camping comme dans Camping. Et il y a eu un karaoké. L'anonymat aidant, mon père s'est lancé dans l'aventure alors que ses trois enfants et sa chère épouse glissaient déjà discrètement sous la table. Et comme il aime les défis (ça doit être génétique), il choisit Le Chanteur de Daniel Balavoine.
        Alors au début c'est facile, c'est pas trop haut, il gère bien, il est dans le ton, dans le rythme, tout comme il faut, et peu à peu il monte. Il monte encore, il se déploie un peu comme un phoenix s'envole, avec des croches noires, et des bémols et des contre croches venus de nulle part. J'avais 16 ans à l'époque, pas vraiment l'âge pour dire "le plus fort c'est mon père" et pourtant j'étais subjugué (Et j'aime pas Daniel Balavoine ; mais j'aime les hélicoptères, allez savoir…). Ce talent incroyable, vertigineux, mon père l'avait caché pendant 16 ans. Et il le cache toujours, même sous la douche. Parfois en fin de soirée il taquine le micro pour chanter L'artilleur de Metz, ou L'invalide à la pine de bois, mais c'est la grivoiserie et non le talent qui s'affiche.
        Pendant ce karaoké samedi soir, je me suis souvenu pourquoi j'étais fier de mon père ; parce qu'il a la classe en utilisant 20% de ses capacités. L'humilité, c'est à ça qu'on reconnaît le talent.

Publié dans Musique

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