Dans les dents

Publié le par Dirty Epic

Seconde longue absence, encore de longues journées pour de longs travaux inutiles.
Petits espoirs pour rien, petits yeux de petites nuits.
Faire une croix sur les loisirs pour gagner rien.

       Je n'ai sans doute jamais autant espéré quand on m'a téléphoné pour un entretien pour un poste de chargé des publics dans un centre de photographie. On m'annonçait en substance : 'nous vous proposons de vivre votre rêve'. Alors j'ai concentré tout mon talent, ma force de persuasion, j'ai fait le plein au Luxembourg pour parcourir 300 et quelques kilomètres exposer mes talents, mon plus beau profil et mes diverses réalisations. Réponse : 'en fait, vous n'êtes pas tout seul sur le coup, ça serait trop facile ! alors on va vous faire passer un second test, vous allez réaliser trois dossiers et on verra qui s'est le plus fort d'entre les ptits jeunes pleins d'espoir. Bien entendu vous allez suer sang et sécrétions corporelles pendant trois jours pour réaliser ces trois dossiers qui représentent une vingtaine de pages écrites, des heures de recherches, et même en anglais. Ah, et j'oubliais de vous dire, tout ça sans être payé ce qui nous permettra d'avoir plein de dossiers de photographes sans rien faire et plein d'idées qu'on aura pris soin de vous voler et disant que ce sont les nôtres. Mais n'oubliez que tout ceci est formateur, et que la pédagogie par l'échec est la plus révélatrice de talent et de caractère. Bonne chance à vous'.
      Donc pendant 3 jours sans douche, sans shampooing, sans rasage, avec comme seul carburant des kinder bueno et du Coca-Cola chaud sans bulle, j'ai cherché tout ce qui était trouvable sur Gilbert Fastenaekens, j'ai même cité un article de 86 issu d'un magazine hollandais. J'ai réalisé plusieurs plans de stages photos, soit 39 heures d'activités. Tout ça pour apprendre dans un courrier froid comme un cul de pinguin que je n'étais pas pris. Je n'ai même pas eu le courage de boire pour oublier.
      Le plus étrange dans un entretien d'embauche, c'est que ça ne ressemble en rien à tout ce qu'on peut apprendre et vivre dans un cursus scolaire. Un entretien ce n'est pas un examen, c'est un rendez-vous amoureux. Il faut séduire la personne en face, lui montrer à quel point elle est seule est qu'elle a besoin de quelqu'un comme moi. Que je saurai être prévenant et attentif, que je saurai prendre soin de sa petite entreprise. Les battements de coeur que l'on ressent avant, pendant et après sont les mêmes que ceux du rendez-vous galant, car on sait que les raisons du choix seront de toute façon irrationnelles, que la logique, en amour comme en recrutement, n'existe que pour le premier tri préalable. Le reste dépendra de l'humeur, du temps, de la couleur de la chemise et des mots employés.
      Après le premier rendez-vous, la règle dit qu'il faut attendre un appel deux jours plus tard. Et quand l'appel ne vient pas les ennuis commencent. Stress, pollution, le cuir chevelu qui se dessèche, on vérifie son portable toutes les sept secondes, son mail tous les quarts d'heure, on guette l'arrivée du facteur. La vie s'arrête quand commence l'espoir. l'espoir... celui là même qui était le dernier malheur à sortir de la boîte de Pandore, le mauvais espoir, celui qui est vain, irréalisable, sans espoir. Et la transpiration reprend, jusqu'à ce qu'on soit définitivement éconduit en apprenant que 'c'est pas vous, mais bon voilà, j'ai rencontré quelqu'un d'autre, il a ses défauts c'est vrai, mais si tous les hommes étaient comme vous, la vie serait tellement plus facile' etc.
      Alors CRP, je te le dis, à toi seul, devant des milliers de lecteurs, je continuerai à t'aimer et à t'attendre, et peut-être qu'un jour au coin d'une rue un soir de pluie on se recroisera et tu verras en moi ce que tu as perdu et tu me regarderas avec des cheveux mouillés et tu me demanderas de te pardonner. Mais au fond de moi j'espère trouver quelqu'un de mieux que toi.

      Un courrier inattendu a réussi à me décrocher un sourire (mais pas la lune), malgré le fait qu'il m'annonçait une mauvaise nouvelle que je connaissais déjà.
      Je vous en laisse ici l'intégralité grotesque (avec un poil de censure pour les noms) :

(le rouge c'est juste pour dire que la personne qui a rédigé ce courrier est la même qui m'a dit : "vous n'avez pas assez de culture".)


      Pendant ce temps, le même Frédéric qui espérait éperdument, recevait un coup de téléphone d'un photographe célèbre pour être son assistant sur un shooting. Ayant appris à ne jamais dire non quand on lui offre du caviar sur un plateau d'or, notre héros décide de se lancer dans l'aventure malgré les engagements précaires qu'il a déjà pris ici et là. Il avait déjà parcouru mille kilomètres en 3 jours, passé un entretien et un concours de la fonction publique dans un hangar pouvant contenir 1500 personnes ou 20000 juifs. Il se disait que ce shooting pouvait être une sacrée expérience, vu qu'il n'avait jamais utilisé autre chose qu'un appareil compact aux fonctions très limitées, et que la séance de deux jours se déroulait au Parlement européen à Bruxelles et il verra défiler sous l'objectif tous les cols blancs de l'Europe, de quoi se faire un carnet d'adresse intéressant.  Mais deux jours avant le départ, notre héros malchanceux s'est dit que l'adage 'pas de nouvelle bonne nouvelle' n'était pas vrai. Il a appelé. Finalement le photographe célèbre n'avait pas besoin d'assistant, la logistique était prise en compte par le Parlement. Elle est belle l'Europe.

      Pour compliquer le tout, il fallait également rédiger deux articles pour le Beams final, celui qui sonne le glas d'une carrière journalistique même pas entamée. Mais finalement, malgré les échéances, les articles sont de bonne tenue.

      Il restait encore une dernière gloire, l'ultime instant pour briller avant redisparaître dans l'anonymat. Un musée de la région m'avait proposé de faire une conférence sur la photographie contemporaine. Alors je recommence, s'enchaînent les recherches et l'écriture, pondre encore 20 pages et un powerpoint de 30 oeuvres, chercher ce qui est le plus pertinent, être exhaustif pour présenter 20 ans en une heure. Depuis deux jours j'étais dans mes livres, mes notes et mes putains de jpeg grands formats de Jeff Wall, à manger des chocorem et boire du lait froid, sentant les gouttes de transpiration perler sous mes bras.

Jeff Wall, A sudden Gurst of Wind (1993) (d'après Hokusai, si vous cliquez)

      Il y a une heure j'ai reçu ce coup de téléphone. 'Il n'y a aucun inscrit pour la conférence, on préfère reporter'. La pression retombe, sans aucune retombée. J'ai les cheveux gras, une barbe d'une semaine qui fait toujours râler ma future femme, et je n'ai rien. J'ai l'impression de vivre l'épisode 5 de Star Wars, après la gloire du nouvel espoir, l'empire a contre-attaqué. Et ça empire. J'attends juste le retour du roi jedi (désolé mauvaise trilogie) pour pouvoir me la couler douce en brûlant le cadavre encore chaud de mes ennemis les plus intimes (le boss final serait-il en moi ?).

      Après avoir reçu tous ces coups de téléphone, j'ai des hématomes au moral, des bleus à l'âme, c'est pourquoi je déclare cette journée la journée zéro. Celle du début de tout. Dès aujourd'hui j'enterre mes échecs et je creuse de nouvelles fondations, je dois résister, je dois me battre. C'est ça, l'appel du 18 juin.



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Publié dans Mes humeurs

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B
Alors là, mon ami, je compatis d'une force, mais d'une force.Je suis pas non plus dans une bonne passe niveau projet d'avenir. L'allusion au mail que tu as reçu me fait bien rire, jaune je te rassure; jaune pisseux même. Une vieille pisse de bouc mongol...Toute ressemblance avec ton mail serait purement fortuite. Bande d'enculés:Bonjour, Dans le cadre de votre demande d’accès en Master professionnel «<br /> Conception de produits médiatiques » pour l’année 2008-2009, j’ai le<br /> regret de vous informer que, suite à votre récent entretien, votre<br /> candidature n’a pas été retenue. -- cordialement, Bénédicte VALLEE Département Information et Communication UFR Sciences Humaines et Arts Université Paul Verlaine – Metz...(notez le "cordialement")Ah, cerise sur l'étron, je suis le seul de ma promo à avoir été refusé, parmi une majorité de mous du gland gratteurs de papier qui ont jamais sorti la tête de leur cul.Là où ça tue, c'est l'un des arguments qu'on m'a sorti pendant l'entretien qu'on m'a royalement accordé pour m'expliquer le pourquoi du comment (et en plus, j'ai du fortement insister pour l'obtenir): "vous n'avez pas assez de culture" clame le trouduc bac+10 avec qui j'ai du parler 1h dans ma vie. On dit qu'il vaut mieux entendre ça que d'être sourd. Bin en tout cas j'ai perdu 10% d'audition à l'oreille droite pendant le festival de Dour d'après mon ORL, et bin ça m'a moins fait chier que toute cette histoire.T'inquiètes Fred, on va tous les niquer.(merci aux assidus de ce blog de supporter ma déchéance)
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D
<br /> Putain Ben... Beams aura eu ta peau...<br /> <br /> Dans 20 ans, il y aura le film Almost Famous 2, lequel racontera les débuts d'un journaliste fan de BD et de hip hop inconnu.<br /> <br /> Et désolé pour ton oreille, mais vaut mieux entendre ça que d'etre sourd.<br /> <br /> <br />
[
Bienvenu au klub de la loose. Au moins, tu vois de belles photos.
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D
<br /> Merci pour tous vos commentaires, c'est pas beaucoup mais c'est intense :-)<br /> Je vais mieux bien entendu, j'ai plein de trucs pas payés que j'ai envie de faire.<br /> J'en parlerai bientôt.<br /> Et merci encore...<br /> <br /> <br />
M
de tout coeur avec vous, courageux jeune homme combattant des barbares avec seulement des chocorems (des "Princes" je pense, ce sont les meilleurs et ils sont raccords avec votre noblesse !!!)
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A
Oh lala. J'étais loin d'imaginer que ton absence du monde èmèssènesque était dû à ces enchaînements !Heureusement, on va essayer de faire apsser tout ça ce week-end. Ce qui m'amuse aussi dans le courrier du ****-L*******, c'est qu'on dirait qu'ils l'ont tapé avec une vieille machine à écrire. Mais moi aussi je continue à croire en toi, connaissant bien tes talents qui sont plus nombreux que tes talons (d'Achille).
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P
N'importe qui peut compatir<br /> aux souffrances d'un ami,<br /> mais seule une personne exceptionnelle<br /> est capable de se montrer sensible<br /> au succès d'un ami.<br /> Oscar WildeJe serai la...et je le suis toujours...quand tu seras pret..ou   qu' en tu en auras besoin..je crois en toi..quoi qu'il arrive..
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